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Princesse Sara : une série de BD étonnante et dans l'air du temps

Paru le 21.10.2020

La petite princesse, le roman de Frances Hogson Burnett, paraît en 1905, et se fait particulièrement connaître du grand public avec son adaptation en dessin animé dans les années 1980 : Princesse Sarah.

En 2009, Audrey Alwett et Nora Moretti insuffle une nouvelle énergie à cette héroïne remarquable par son intelligence et son ingéniosité, dans la série de bandes dessinées Princesse Sara. À l'occasion de la sortie du treizième tome, « L'université volante », paru en septembre 2020, retour sur cette saga riche, addictive, et à l'atmosphère magnétisante.

Princesse Sara : la petite princesse devient grande

Quiconque aura lu le roman ou vu le dessin animé retrouvera ses marques dans les quatre premiers tomes de la série: la petite Sara est alors confiée à un pensionnat, et son père décède sans lui laisser le moindre sou.

Mais si on se laisse autant happer par la série, c'est que l'histoire ne s'arrête pas aux malheurs de Sara et à leur résolution. Audrey Alwett et Nora Moretti explorent le personnage en lui offrant des intrigues à la hauteur de sa profondeur, s'émancipant du roman pour imaginer une jeune femme dans la continuité de l'enfant : brillante, ingénieuse, ambitieuse, tout en restant humble et généreuse. Ses liens avec les autres protagonistes se complexifient et viennent interroger les idéaux de chacune et chacun. Puis la romance s'épanouit dans une histoire qui ne manque pas de piquant.

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La petite princesse se retrouve ainsi tantôt directrice d'une entreprise, tantôt au cœur de complots d'envergure. Elle s'aventure dans différents pays autour du globe, parfois dans la clandestinité, et se fait même confier des missions secrètes dans le treizième tome. 

Bref, Sara a bien grandi, et est une héroïne pleine de ressources !

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Princesse Sara : une série de BD dans l'air du temps

À mesure que l'héroïne gagne en maturité, les problématiques de la BD se révèlent de plus en plus sociétales et surtout modernes.

Les thématiques qui les traversent sont intelligemment nourries de féminisme, mettant en avant des personnages féminins gagnant en assurance et en indépendance – surtout vis-à-vis des hommes. Le handicap, la réputation, les inégalités sociales font partie des nombreuses thématiques qui traversent la saga, et qui ne manquent pas de faire échos à des questionnements actuels.

Les liens qui se tissent dans le réseau des personnages deviennent plus complexes, interrogeant les quêtes personnelles de chacun•e, les heurtant à leurs idéaux ou encore à leur statut d'hommes et de femmes dans la société.

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Princesse Sara : une richesse scénaristique et esthétique

L'ardeur de l'intrigue s'accompagne d'une flatterie de la rétine, tout d'abord grâce à la méticulosité de la confection des costumes, conférant élégance et charme à des personnages rayonnants de sensualité. Elle se retrouve également dans la représentation des décors, aussi contemplatifs qu'immersifs.

Mais la particularité et la force de cette série, c'est l'esthétique steampunk, qui gagne en épaisseur au fil des tomes. Dans cette adaptation, Sara est l'héritière d'une entreprise spécialisée dans les automates, qui, pour les plus élaborés, peuvent interagir avec l'homme.

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Or la technique prend de l'importance dans la BD, sur terre, dans les airs, comme sous la mer, avec un défilé de machines aussi spectaculaires qu'ingénieuses. C'est le cas notamment de la curieuse université volante du treizième tome, dans laquelle Sara et Lavinia se retrouvent embauchées, et qui leur réserve bien des surprises...

La saga Princesse Sara prouve qu'un personnage culte n'a jamais fini de raconter son histoire quand des autrices se l'approprient pour mettre à profit leur talent par des ressorts scénaristiques savamment rythmés et une esthétique singulière. La preuve avec le treizième tome de la série, qui fait d'ores et déjà attendre le quatorzième !

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3 questions à... Audrey Alwett

Née dans un roman paru en 1905, qu’est-ce qui rend Sara si inspirante aujourd’hui pour une autrice ?

J'adorais le roman qui, bien que datant de 1905, offre une vision bien plus moderne des relations sociales que le dessin animé japonais des années 80. L'histoire de base est assez prodigieuse. C'est en lisant le roman pour la 47e fois que je me suis dit qu'il était dommage qu'il n'y ait pas eu de BD qui en soit tirée.

Dans un deuxième temps, je me suis rappelé que j'étais moi-même scénariste. J'ai fait faire plusieurs essais à des dessinateurs : rien n'allait. Jusqu'au jour où j'ai rencontré Nora Moretti à Angoulême : ce fut le coup de foudre professionnel immédiat.

Dans la version de Frances Hogson Burnett, Sara est une héroïne très moderne, pas du tout dans la soumission. D'ailleurs, ses affrontements avec Miss Minchin ne sont rien d'autres que des duels de volonté. Quand elle a tout perdu, elle continue de s'élever par la toute-puissance de son imagination et elle contamine tout le monde avec sa vision du monde. Princesse Sara, c'est une ode à l'imaginaire aussi bien qu'à la volonté et à la résistance.

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Quand nous avons adapté la BD, bien entendu, nous avons changé des éléments, mais nous avons aussi choisi de conserver la volonté de modernité du roman pour en faire une BD qui répond à nos propres questionnements sociétaux. Pour moi, ça fait partie de l'essence de l'œuvre.

Évidemment, c'était aussi une façon de faire vivre plus longtemps un personnage que nous avions beaucoup aimé Nora et moi, on ne va pas se le cacher. D'autant que nous ne nous sommes pas arrêtées au tome quatre, qui marque la fin de l'intrigue du roman. Après, nous racontons la suite des aventures de Sara qui n'existe nulle part ailleurs.

Nous en sommes déjà au tome 13, Sara a donc eu le temps de devenir ingénieure d'automate, cheffe d'entreprise, d'aller aux Indes et d'en revenir, d'être accusée d'attentat sur la personne du roi, de tomber amoureuse, d'aller en Inde, puis aux États-Unis, avant de passer par la France et de partir pour le Japon à bord d'une Université volante... Avec Nora, nous nous amusons beaucoup, c'est certain.

La série s’émancipe du roman par son décor steampunk : les machines ont-elles une symbolique particulière à vos yeux pour l’histoire de Sara ?

L'idée d'adapter Princesse Sara dans un décor d'automates est venue tout de suite. C'était avant tout pour nous démarquer des adaptations qui existaient déjà. On ne voyait pas l'intérêt d'une transposition la plus fidèle possible, ça aurait été fade et de toute façon moins bien que le roman.

Le steampunk est un genre qui correspond assez bien au XIXe siècle et qui a surtout le mérite d'être très esthétique. Or Princesse Sara, dans l'imaginaire collectif, c'est une histoire très esthétique. On a donc poussé les curseurs à leur maximum avec Nora et imaginé un steampunk très léché, très doux, proche de l'imaginaire enfantin, pas du tout l'ambiance crasseuse et déglinguée qu'on voit trop souvent.

J'aime aussi que Sara soit devenue ingénieure et conceptrice d'automate. La solution de facilité aurait été de la faire devenir écrivaine, avec l'imagination qu'elle a. Mais il n'existe pas assez d'héroïnes portées sur les filières polytechniques. L'avantage des automates, c'est également que Sara peut les faire travailler (d'ailleurs « robot » signifie travail) sans exploiter personne et encore moins ses amis. Comme Sara est très bourgeoise, j'essaie d'être vigilante sur les problématiques de classe.

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Enfin, le steampunk nous a permis de prendre pas mal de libertés historiques. Même si on respecte certaines lignes, on peut se permettre de bousculer la géopolitique. Dans le 3e cycle, l'Angleterre qui sent les tensions monter en Europe se déchire sur une question : les automates doivent-ils ou non pouvoir être transformés en armes ? Sara qui y est opposée va aller au devant de graves ennuis.

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Par la suite, l'Angleterre ayant perdu la bataille éthique, le 4e cycle va s'attacher à la question très contemporaine du soft-power. Et si le Japon au lieu d'avoir choisi la voie des armes avait choisi celle des arts et ce dès le début du XXe siècle ? Et si cela avait décuplé ses capacités d'innovation et donc sa capacité à rayonner sur la terre entière ? Évidemment, cette problématique nous est inspirée par la perte très contemporaine du soft-power des Etats-Unis et des conséquences que ça a sur la transformation de notre monde actuel. Le tout adapté aux enfants, bien entendu. On reste une série jeunesse !

À qui conseilleriez-vous de partager un moment de lecture avec Sara ? J’ai lu que la BD était qualifiée de « girly » : est-ce que vous avez envie (ou non) de remettre en question cette étiquette ?

À tout le monde ! D'ailleurs, ce qui est amusant avec cette série, c'est qu'elle est très transgénérationnelle. On a régulièrement des familles entières qui viennent nous voir en dédicace et qui nous suivent année après année. Le dessin animé rappelle souvent des souvenirs aux mamans. Comme il véhicule une vision des femmes qui encourage la soumission, certaines personnes sont réticentes à tester la BD et changent d'avis quand elles en découvrent la modernité. On apprécie beaucoup quand elles viennent nous le dire.

Il est vrai que notre série reçoit souvent le qualificatif de « girly », hélas sur un ton méprisant. Pourtant, ça ne se traduit concrètement que par deux choses : notre héroïne a le grand tort de ne pas être un héros et nous soignons beaucoup l'esthétique, en particulier les costumes qui ont tous une symbolique particulière dans la série. C'est amusant de penser que si Nora bâclait cette partie, nous serions sans doute beaucoup moins « girly » ! Parce que pour ce qui est de la romance... Certes, il y en a, mais moins que dans n'importe quel James Bond !

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De toute façon, l'adjectif « girly » est intéressant. Quand j'étais adolescente, je n'étais pas du tout « girly ». J'étais habillée avec les vieux vêtements de la voisine qui étaient trop larges pour moi, pas maquillée, pas intéressé par les magazines féminins, mais totalement accro à la littérature classique. À l'époque, je subissais un harcèlement où « intello » tenait lieu d'insulte régulière, la pression sociale exigeant de moi ce côté « girly ».

Quand je suis arrivée dans la BD, j'ai développé la série Princesse Sara très rapidement. Je suis alors passée du statut « d'intello » qui aurait enfin pu me conférer des privilèges à celui de « scénariste qui fait des BD girly » qui était alors devenu stigmatisant. C'est drôle, non ? Ça l'a été un peu moins quand des éditeurs ont refusé de me signer des livres ambitieux, parce que « c'est autre chose que tes petites séries de filles, là, tu ne te rends pas compte »... Bon, nous avons encore tous du travail sur cette question.

Je n'ai rien contre l'étiquette girly, je pense que les autrices sont en train de la récupérer et d'en bousculer les connotations négatives. Simplement, il n'existe pas d'étiquette « boyi », pourquoi ? Parce que le masculin est universel ? Et qu'on ne se sent pas obligé de le stigmatiser ? Ça me chagrine tout de même un peu.

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Aujourd'hui, nous avons un nombre non négligeable de lecteurs hommes sur Princesse Sara. Ils sont parfois tous surpris de me dire qu'ils adorent la série, alors qu'ils ne pensaient pas que ça s'adressait à eux. Je suis vraiment heureuse qu'ils soient parvenus à dépasser les préjugés dont cette série est parfois entourée. C'est aussi pour eux que je continue les aventures de Princesse Sara.

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