Chloé Cruchaudet clôt son diptyque Céleste – Interview
Chloé Cruchaudet nous livre le second tome de son diptyque mettant en scène l'écrivain Marcel Proust et son indispensable Céleste Albaret, dans la relation privilégiée qu'ils ont eu jusqu'au dernier soupir du souffreteux génie.
Si Céleste raconte les aspirations d'ascension des deux protagonistes, littéraire pour l'un, sociale pour l'autre; c'est véritablement cette dernière qui tire son épingle du jeu ici. Elle est la gouvernante de Marcel Proust ? Et bien elle va gouverner ! Retrouvez l'interview de Chloé Cruchaudet, l'autrice derrière l'œuvre
On retrouve dans Céleste un de vos thèmes de prédilections : le témoignage historique, sociologique. C'est pour vous une matière, un fil à dérouler pour raconter vos histoires ?
J’ai l’impression que le réel est une mine d’or inépuisable, et que tout est potentiellement intéressant, tout dépend de la manière dont on le met en scène. Il est vrai que j’ai souvent puisé dans une matière historique, car j’éprouve autant d’empathie pour des destinées de contemporains, que d’individus ayant vécu il y a plusieurs siècles… Mais surtout, je pense que c’est une matière brute, quelque soit ce réel de départ, ce qui me passionne, c’est comment le tordre, le manipuler pour embarquer le lecteur.

À quel point vous vous appuyez sur la documentation et à quel point décidez-vous de vous en détacher ?
J’aime l’archive et la documentation comme stimulation de l’inspiration. J’essaye de comprendre au mieux la psychologie des personnages, leur logique, leur fonctionnement, j’essaye d’avoir une éthique là-dessus pour ne pas leur faire dire et faire n’importe quoi. Ensuite je trahis la « vérité » sans aucun complexe, et propose mon interprétation.


Lorsqu’on compare les souvenirs de Céleste et Marcel eux-mêmes, par rapport à des faits avérés, on se rend bien compte qu’ils font preuve d’une mauvaise foi, consciente ou inconsciente, assez confondante… Nous sommes constamment en train de « fictionnalisé » nos propres vies, j’estime donc qu’il faut essayer de faire le travail de documentation le plus sérieusement possible, et ensuite assumer pleinement cette trahison inévitable.
Vous semblez changer de style graphique à chaque album. Est-ce aussi le cas pour Céleste ? Et pourquoi ?
Autant le travail en amont de recherche, jusqu'au story board, me passionne complètement, l’exécution et le rendu au propre des pages est pour moi un marathon souvent ennuyeux. J’essaye donc tout simplement de me donner des défis, des contraintes afin de combattre cet ennui. Par exemple pour le tome un, je m’étais imposée de tout le temps montrer Céleste en position inférieure par rapport à Marcel. C’était parfois un sacré casse-tête, étant donné que Marcel passe sa vie couché dans son lit ! Et ce jusqu’au moment de bascule qui va amener au tome 2.

Groenland Manhattan, Ida, Mauvais genre, La Croisade des innocents, Les Belles Personnes ou Céleste, on peut dire que vos héroïnes font du bien au paysage de l'édition BD aujourd'hui mais vous dépeignez surtout des êtres humains riches et complexes. Comment construisez-vous ces personnages ?
Tout simplement en essayant de leur donner le plus d’humanité possible, et les caractéristiques de l’humanité selon moi sont la fragilité, la complexité... J’ai une vraie aversion pour la perfection, que je trouve non seulement ennuyeuse, mais totalement improbable. Pour la structure de l’histoire, son squelette, j’essaye toujours de creuser les désirs inconscients et conscients des personnages. Puis, pour mettre de la chair sur ce squelette, je creuse aussi le côté étonnant de mes personnages. Tout ce qu’ils peuvent faire, ou dire d’improbable, - bien sur en étant cohérent avec leur personnalité-, constitue leur charme.

Vous avez passé du temps avec Céleste, c'est parfois un peu difficile de quitter une héroïne au terme de son histoire. Vous savez déjà qui vous accompagnera dans un avenir proche, dans un futur projet ?
En ce qui concerne de futurs livres, beaucoup de thématiques me passionnent, mais pour l’instant je n’ai pas eu l’étincelle qui me permet de démarrer concrètement un projet.

J’aimerais explorer des univers auxquels je n’ai jamais touché, comme la préhistoire ou la science-fiction, pourquoi pas.
Je me laisse le temps d’avoir un enthousiasme absolu pour un personnage, c’est très important si on veut avoir une chance de le communiquer aux lecteurs !