Le retour de Bob Morane en BD – L’interview des auteurs Christophe Bec et Corbeyran
Le secrétaire personnel d'Henri Vernes a déclaré à propos de la reprise de Bob Morane par Christophe Bec, Corbeyran et Paolo Grella : « Elle sera faite par de vrais fans ». Dans cet article, nous revenons sur la genèse du projet de cette reprise de flambeau d'une œuvre patrimoniale de la Bande Dessinée franco-belge.
Bob Morane - Le retour en librairie
Découvrez une nouvelle bande dessinée avec Bob Morane ! Avec Christophe Bec et Corbeyran au scénario et Paolo Grella au dessin, vous pourrez suivre une nouvelle aventure de ce héros et de son équipe. Dans ce premier tome, Bob Morane et Bill Ballantine doivent combattre l'organisation de l'Ombre Jaune dans un contexte difficile.
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L’interview des auteurs
Editions Soleil - Comment êtes-vous arrivés à faire votre Bob Morane ?
Christophe Bec - C'est une trop longue histoire pour être contée en quelques lignes. Cela représente dix années de lutte, d'acharnement, de renoncements et de déceptions. Ravi donc enfin que cette envie de toujours ait pu se concrétiser aujourd'hui avec cet album. Il n'aurait d'ailleurs pas pu se faire sans l'attachement qu'avaient mes éditeurs, Guy Delcourt et Jean Wacquet, au personnage créé par Henri Vernes. Son secrétaire particulier, Alain de Grauw, a aussi joué un grand rôle. Je me suis entêté et aujourd'hui j'ai enfin réalisé ce rêve de gosse.
Corbeyran - Contrairement à Christophe qui avait déjà enclenché les démarches et réfléchi sur un projet de reprise, les choses se sont déroulées beaucoup plus simplement pour moi. Christophe, je l'ai rencontré sur un coin de stand au festival d'Angoulême en 92. Il venait de terminer l'école du Nil. Moi, je n'avais alors écrit que 2 ou 3 scénarios.
On s'est tout de suite bien entendu car on partageait une puissante attirance pour la BD de genre, l'aventure, le fantastique et les héros populaires. Nous avons travaillé un peu ensemble et puis nous avons connu de beaux succès chacun de notre côté. Quand Christophe m'a appelé pour me dire qu'il souhaitait m'associer au scénario de Bob Morane, j'ai cru tomber de ma chaise. J'ai dit oui sans hésiter. Un gros OUI.
D'abord parce que reformer un tandem avec lui me paraissait une très bonne chose, notre passion commune pour la BD populaire n'ayant fait qu'amplifier avec les années. Ensuite parce que travailler sur une matière aussi incroyablement mythique que Bob Morane, c'était tout simplement un rêve éveillé qui allait se concrétiser !

Vous êtes vous référés à la série originale (Romans ou BDs) avant de vous lancer ?
Bec - Les deux ! Pour ma part j'avais découvert Bob Morane en premier lieu via les bandes dessinées dessinées par William Vance, je suis d'ailleurs assez collectionneur des Bob Morane en BD. Mais j'ai aussi lu plusieurs romans. On a voulu avec Corbeyran écrire un Bob Morane fidèle à l'esprit, mais pour autant, nous ne respectons pas forcément toute la mythologie mise en place dans la multitude de romans, ça aurait été trop contraignant, et nous ne voulions pas d'une histoire ankylosée par toute cette charge, on a donc pris quelques libertés que nous estimons salutaires, notamment concernant l'Ombre Jaune.

Corbeyran - Quand j'étais gamin, je n'étais pas du tout lecteur de romans. J'ai changé depuis, je passe tout mon temps libre à bouquiner. Mais tout le fond de ma culture pop, je me la suis constituée à coup de bandes dessinées et de séries télé. Mon père était fonctionnaire, il se déplaçait énormément en voiture. Un jour, il est rentré à la maison et m'a offert un album souple qu'il avait récupéré dans une station Total. C'était une aventure de Bob Morane. Je ne connaissais pas le personnage, je lisais principalement Tintin, Iznogoud et Astérix.

Mais ce jour-là, j'ai pris une grosse claque. Il s'agissait du Secret des Sept Temples. Je l'ai relu des dizaines de fois et je suis devenu un lecteur assidu des BD du grand Bob. Mais je n'ai jamais lu de romans d'Henri Vernes. Avant de me plonger dans le scénario de ce nouvel épisode, je me suis relu l'ensemble de l'œuvre dessinée pour me replonger dans le bain. J'ai (re)pris conscience de l'incroyable étendue des domaines explorés par Bob et Bill. La planète est trop petite pour des mecs comme eux !
Quels sont les aspects intemporels de cette série emblématique et ceux que vous avez adapté à une lecture plus moderne ?
Bec - Comme je le disais, nous avons essayé de respecter au mieux l'esprit, alors dans notre adaptation les personnages principaux restent assez fidèles, soit aux romans soit aux BD, et on retrouvera dans les albums les cités perdues, les dinosaures, les lieux exotiques... et bien entendu l'aventure avec un grand A ! Nous avons choisi de placer notre Bob Morane dans les années 50-60, une époque où il restait encore des frontières vierges, je trouve qu'il est aujourd'hui compliqué de prendre comme héros moderne un aventurier, je l'ai fait dans ma série fleuve Carthago en situant l'histoire dans les mers et océans, car il s'agit du dernier territoire sur Terre encore non exploré, et bien-sûr aussi dans mes séries SF avec l'exploration spatiale.

Corbeyran - Lorsque je m'attèle à une reprise ou à une adaptation, je n'ai qu'une seule obsession : le respect de l'œuvre originale. Si vous comptez être infidèle, comme ont pu l'être Jan Kounen avec Blueberry ou Luc Besson avec Valerian, ça vous regarde, mais la question qui se pose est : pourquoi choisir une œuvre qui possède une forte identité si c'est pour brouiller cette identité ou carrément pour lui en donner une autre ? Quelque chose dans cette démarche m'échappe et me dérange. Faire preuve de respect est la première preuve d'amour. Qu'on aime ou qu'on déteste, Bob Morane possède indéniablement une puissante identité qu'il fallait à tout prix préserver dans cette nouvelle renaissance. Nous avons fait le choix de le replacer dans un contexte relativement ancien, les années 50. C'est une époque où l'aventure telle qu'elle nous est contée par Vernes est encore possible.
Il existe plus d'une centaine d'itérations des aventures de Bob Morane. Que peut-on encore découvrir sur le célèbre héros ?
Bec - La réponse est dans notre album ! Blague à part, je ne sais pas si nous avons amené quelque chose de nouveau, nous n'avons pas cette prétention, Henri Vernes a tellement fait. Disons que nous amenons juste notre vision commune sur le personnage, et quelques influences autres, sans doute un peu plus récentes, comme Alien ou certains grands films d'aventure qui ont suivi...


Corbeyran - Henri Vernes a tout dit, tout fait, tout raconté. Soyons réalistes (et modestes) : on aurait très bien pu ne rien faire, ça n'aurait pas changé la face de la planète Bob Morane. Notre démarche relève autant de l'hommage au maître que de l'envie de l'imiter. Mais de l'eau a coulé sous les ponts depuis les premières aventures du commandant et on ne peut pas faire abstraction de ce qu'on a lu ou vu depuis. Christophe et moi sommes donc malgré nous influencés par d'autres œuvres et notre version de Bob Morane se ressent forcément de ces autres références. Mais je ne pense pas que ce soit gênant, au contraire, c'est un petit truc en plus qu'on a apporté, sans prétention.
Est-ce que vous avez un mot sur la disparition d'Henri Vernes ?
Bec - Cela m'a attristé bien-sûr. Je ne l'ai jamais rencontré, ça avait failli se faire lors d'un voyage en Belgique, malheureusement il était trop fatigué à cette période. Nous aurions souhaité lui apporter en mains propres notre album, cela ne pourra pas se faire, mais quand je tiendra l'album dans les mains, j'aurai une très forte pensée pour ce grand écrivain, et également pour le dessinateur de Bob Morane qu'il préférait, William Vance, qui est sans doute l'auteur qui m'a donné envie de faire ce métier et que je n'ai pas non plus eu la chance de rencontrer. Par contre je me suis lié d'amitié avec son fils, ce qui va permettre prochainement de reprendre un autre de ses personnages : Bruce J. Hawker. J'ai écrit presque 150 albums, Corbeyran bien plus, mais je crois que pour nous deux, avoir fait un Bob Morane revêt une saveur toute particulière.
Corbeyran - Lorsque j'ai appris le décès d'Henri Vernes, je ne me suis pas exprimé publiquement, j'ai horreur de ça, mais j'ai aussitôt envoyé un message privé à Alain de Grauw, son secrétaire particulier pour lui dire à quel point j'étais touché, ému, par ce départ. Je m'étais fait un petit film dans ma tête. L'album sortait et on aurait organisé un petit événement en Belgique. Toute l'équipe aurait rencontré le maître, on lui aurait offert notre bouquin. Bon, il faut se faire une raison, cela restera de l'ordre du fantasme. On va devoir se contenter de cette petite préface qu'il a eu la gentillesse d'écrire pour nous dire qu'il appréciait notre boulot. On est au moins sûr de ça, c'est important. Mais j'aurais aimé le connaître, lui serrer la main, lui dire mon admiration. Je me sens très proche de ce genre d'écrivains. Populaires, productifs, profus. Pour moi, Henri Vernes fait parti de cet aréopage de génies, de monstres sacrés tels Robert E. Howard, John Flanders, Rider Haggard, William Hogdson, Edgar R. Burroughs, Stephen King, Graham Masterton, Dean R. Koontz et Serge Brussolo.
